Vraisemblance et autorité narrative dans le roman contemporain
Dans la foulée des recherches que nous menons depuis quelques années sur la narrativité contemporaine, nous entendons maintenant étudier de près un phénomène en émergence, parfois qualifié par la critique de «retour au récit», de «néo-réalisme», ou encore de «nouvelle fiction», termes utilisés pour marquer la distance qui sépare ces romans des récits autoréflexifs qui ne permettent pas au lecteur de croire à l'histoire racontée ni de s'abandonner à son cours. Ces dénominations, pour imparfaites qu'elles soient, renvoient néanmoins à tout un pan de la littérature narrative contemporaine, à tous ces romans qui usent sans complexe de la fonction fabulatrice, ces romans «Au-delà du soupçon» (Chénetier, 1989) et pour qui «raconter, c'est à la fois s'abandonner à la jouissance narrative et jouer avec les ingrédients désormais connus du récit» (Viart, 1999, p.139). Ces fictions subtilement savantes, inventives, qui ne problématisent pas le geste d'écriture, se désignent par des dispositifs formels complexes, saugrenus, insolites, sans sacrifier pour autant le plaisir de raconter une histoire. Nous estimons, et c'est là notre hypothèse générale, que cette fraction importante de la littérature contemporaine est en train de reconfigurer les modalités de la transmission narrative.
L'activité romanesque repose de fait sur un contrat tacite selon lequel la relation des faits est présentée de manière à ce que le lecteur adhère à l'histoire racontée. C'est ce qu'on appelle le pacte d'illusion consentie qui nous fait accepter comme allant de soi la narration omnisciente, par exemple. Ce pacte repose sur un protocole dont les modalités ont certes varié au fil de l'histoire littéraire, mais qui présuppose toujours l'existence d'une autorité narrative, «avant tout comprise comme l'autorité de la voix narrative» (Cavillac, 1995, p.25). Nous supposons que cette «nouvelle» autorité narrative est tributaire non pas strictement de la crédibilité du narrateur, non pas de sa plus ou moins grande présence dans le récit, mais, plus fondamentalement, d'une articulation singulière des codes de vraisemblance. Notre objectif général est de spécifier les mécanismes qui réinventent le protocole de l'illusion consentie par l'examen systématique des figures de narrateur et des types de vraisemblance que ces textes mettent en jeu. En prêtant une attention particulière à l'articulation singulière des divers types de vraisemblance exploités dans ces textes qui redécouvrent les «pouvoirs perdus de la fable et de la fiction» (Petit, 1999, p. 127), nous poursuivons les objectifs théoriques et critiques suivants :
- Faire émerger la spécificité des modalités de l'autorité narrative dans le roman contemporain ;
- Définir les articulations qui régissent l'autorité narrative et les vraisemblances empirique, diégétique, générique et pragmatique ;
- Catégoriser les entorses aux types de vraisemblance présentes dans le roman contemporain ;
- Préciser les effets de ces entorses en regard des enjeux figurés et thématisés dans les romans contemporains;
- Contribuer, par cet examen, à la réflexion sur les enjeux de crédibilité et les modalités d'adhésion du discours fictionnel contemporain.
Notre programme de travail comporte trois volets distincts, mais interreliés, qui visent à spécifier, mettre en perspective et interpréter les modalités de l'autorité narrative de l'extrême-contemporain. Ces trois volets, poétique, historique et théorique, correspondent à des chantiers de travail partiellement déblayés et procèdent d'un répertoire de textes romanesques issus de diverses littératures et parus à partir des années 1990 (Eco, Roth, Yergeau, Auster, Chen, Holder, Tristan, Soucy, Bon, Volodine, etc.).
Nous estimons qu'en regard des productions culturelles contemporaines qui veulent nous faire croire qu'elles sont conformes à la réalité (télé-réalité, autobiographie, récit, biographie, etc.), les fictions littéraires que nous entendons analyser vont nous permettre de réfléchir à la question plus large du statut de l'imaginaire dans nos sociétés contemporaines, et, en particulier, aux différentes modalités par lesquelles l'époque prétend saisir la réalité et la mettre en signe.
Chercheurs principaux
- Frances Fortier
- Andrée Mercier
Financement
-
Subvention ordinaire de recherche (CRSH)
2006-04 - 2009-03