Le palimpseste francophone: modalités et enjeux de la réécriture
Au moment où on s'interroge sur le sort des langues dans une perspective de mondialisation, il est important de réfléchir aux conditions d'existence des littératures de langue française, à leurs interrelations, mais aussi à leur manière de coexister avec des littératures mieux établies et plus anciennes, comme la littérature française. Les littératures francophones ont en commun d'être de jeunes littératures et leurs écrivains de se situer « à la croisée des langues » (Gauvin, 1997), dans des situations de « contacts de culture » (Beniamino, 1999). La question du palimpseste y prend une importance particulière, renvoyant à la place de ces littératures sur l'échiquier de « la république mondiale des Lettres » (Casanova, 1999) et aux modèles dont dispose l'écrivain pour rendre compte de sa situation.
Venant du latin palimpsestus, le mot Palimpseste signifie « qu'on gratte pour écrire de nouveau ». Gérard Genette, qui y consacre l'un de ses ouvrages, rappelle que la notion de palimpseste signifie à l'origine « un parchemin dont on a gratté la première inscription pour en tracer une autre, qui ne la cache pas tout à fait, en sorte qu'on peut y lire, par transparence, l'ancien sous le nouveau » (quatrième de couverture). Ainsi, le palimpseste reprend la trace, l'écho, l'empreinte, le projet d'un autre texte pour le déconstruire, le reconstruire, le critiquer. Cette notion est au coeur même de l'acte d'écrire dans la mesure où, comme le signale Julia Kristeva, « Tout texte se construit comme mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d'un autre texte. » Ainsi toute littérature serait une « littérature au second degré ». Dans le cadre de cette recherche, nous nous intéresserons aux processus de dérivation de texte à texte, soit aux modalités de la réécriture entendue comme reprise d'un texte antérieur selon des configurations inédites.
Dans le contexte des littératures francophones, peut-on voir se dessiner des figures particulières du palimpseste littéraire ? De quelle(s) manière(s) les écrivains ont-ils choisi de discuter les modèles fournis par le corpus littéraire institutionnalisé ? Comment se sont-ils inscrits dans une tradition reconnue afin de l'attaquer, de la faire dévier ou simplement de la prolonger ? Le phénomène même de la réécriture est un effet de lecture lié à la reconnaissance du modèle d'une part, et, d'autre part, à la complicité créée par la double conscience, celle de l'auteur et du lecteur, de son détournement. Lecteur et écrivain se trouvent par là même engagés dans une même perspective critique et créatrice. Mais si elle est toujours, d'une certaine façon, teintée de ludisme, puisqu'elle constitue dès le départ un acquiescement au passage et au relatif, la réécriture opère selon des modalités fort différentes selon les types d'effets à produire. Ainsi envisagée sous l'angle de sa fonctionnalité et de sa visée pragmatique, la réécriture permet de déployer autrement la cartographie de l'écriture francophone et d'en explorer les enjeux.
Cette recherche poursuit un triple objectif :
- discuter les concepts – modèles théoriques – actuellement disponibles pour décrire les pratiques de réécriture afin de proposer une typologie de celles-ci davantage axée sur la pragmatique;
- constituer un répertoire des oeuvres choisies comme modèles ou contre-modèles par les romanciers contemporains et examiner les réécritures spécifiques de certaines de ces œuvres en retraçant les enjeux narratifs et idéologiques ainsi déployés
- proposer enfin une réflexion sur le fonctionnement de la littérature et, par textes interposés, une mise en réseau de la littérature comme « poétique de la relation » et mémoire vivante de l'humanité.
Alors qu'il est question de fonder une Littérature-monde en français (Le Monde, mars 2006) et à l'heure de la mondialisation des cultures, il est plus que jamais important de s'arrêter au corpus d'œuvres identifiées par les écrivains francophones à titre d'héritage commun et d'identifier les modalités de leurs transformations.
Chercheur principal
Financement
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Subvention ordinaire de recherche (CRSH)
2009-04 - 2012-03