La naissance de la critique littéraire au féminin

La naissance de la critique littéraire au féminin

L’accroissement substantiel du nombre de femmes de lettres dans la société canadienne-française au tournant du XXe siècle, et plus particulièrement dans la région montréalaise, laisse entrevoir que cette époque constitue un moment charnière dans l’histoire de la littérature des femmes et de sa place dans le champ littéraire. Cette émergence massive des femmes de lettres dans des pratiques littéraires médiatiques à la fin du XIXe siècle correspond au moment où les femmes font leur entrée dans la sphère publique. Cette Publicité, au sens entendu par Habermas (1986), est indissociable des deux grandes mutations sociales qui affectent à ce moment-là la société canadienne-française en général, mais influencent tout particulièrement le sort des femmes de lettres : l’urbanisation et le développement des médias. Si la force d’attraction de Montréal, nouvellement promue métropole économique, s’exerce sur l’ensemble des acteurs de la vie littéraire au tournant du siècle dernier, cette force agit davantage encore sur les trajectoires des écrivaines, et se manifeste de manière prépondérante dans le développement de créneaux féminins dans les grands médias. 

À ce jour, les écrits journalistiques des femmes de lettres au tournant du XXe siècle ont été considérés d’une part en tant que témoignages d’une époque, d’autre part en ce qu’ils s’inscrivent dans le genre de la chronique, genre traditionnellement considéré comme marginal, sinon mineur, au sein des études littéraires. Toutefois, aucune étude n’a, jusqu’ici, tenté une lecture transversale de la critique littéraire, partie importante du travail des chroniqueuses dans les quotidiens et magazines féminins. Les circonstances de la naissance de la critique au féminin telle que les femmes de lettres l’ont pratiquée au tournant du siècle dernier sont demeurées méconnues, et ce même si depuis une trentaine d’années, l’émergence d’une critique au féminin au sein des études littéraires et culturelles a permis la réévaluation des textes de femmes et de leur place dans l’institution littéraire. 

Le présent programme de recherche a donc pour objectif d’étudier la pratique de la critique littéraire par les femmes de lettres canadiennes-françaises au tournant du siècle dernier (1893-1919), afin d’en circonscrire les formes et les modalités, et tout en la situant dans le contexte tant socioculturel que littéraire qui favorise l’émergence de cette parole critique féminine. 

Trois objectifs orientent le programme de recherche. Il s’agira de :

  • rassembler un corpus significatif de critiques littéraires signées par des femmes dans les différents journaux, magazines et brochures entre 1893 et 1919;
  • analyser ce corpus en vue d’identifier les principales stratégies discursives qui le caractérisent, tout en tenant compte de la signataire, du lieu de publication et de l’œuvre qui fait l’objet de la critique;
  • dégager de l’ensemble de cet échantillon et de ses caractéristiques un processus de médiation culturelle qui tienne compte d’une part de la perspective féminine à l’ œuvre dans l’élaboration de ce discours critique marqué par le genre de ses signataires, et d’autre part, de la place qu’occupe ce discours au sein de l’ensemble des pratiques critiques qui paraissent à la même époque. 

L’importance et l’originalité de ce programme de recherche tiennent d’une part au fait qu’il permettra de constituer le corpus de la critique littéraire au féminin au tournant du siècle, corpus méconnu jusqu’ici, justement parce qu’il est resté disséminé dans les différents périodiques qui lui ont servi de support. D’autre part, le programme permettra d’étendre la portée historique des recherches en littérature des femmes, puisqu’il permettra de faire la lumière sur une portion de la production des femmes de lettres canadiennes-françaises qu’aucune recherche n’avait considéré jusqu’ici. Enfin, ce projet contribuera au développement des connaissances en mettant de l’avant une approche qui se veut la plus globale possible du phénomène littéraire, en conjuguant les acquis des théories du champ et des relations entre les champs, de la sociologie des écrivains, de l’histoire des médias et de l’histoire des pratiques littéraire des femmes.

Réalisations dans le cadre du projet

Colloques (organisation)

  • Isabelle Boisclair et Chantal Savoie, Colloque Femmes et champ littéraire : enjeux de légitimité, 72e congrès de l'ACFAS, UQÀM, 12 et 13 mai 2004.
  • Chantal Savoie, Atelier Vertueuses, modestes et soumises? Les chaînons manquants de l'écriture au féminin, Colloque de l'Association des littératures canadiennes et québécoises (ALCQ), Congrès des sciences humaines et sociales, Winnipeg, 30 mai au 1er juin 2003.

Communications

  • « La communauté littéraire imaginaire des femmes de lettres au tournant du XXe siècle », colloque Sociabilités imaginées, coorganisé par Michel Lacroix et Guillaume Pinson, 73e congrès de l'ACFAS, UQAC, 9 mai 2005. 
  • « Mentorat public et expertise littéraire des femmes au tournant du XX e siècle », Les premières femmes de lettres québécoises et la culture de l'imprimé, colloque organisé par Sophie Montreuil et Yvan Lamonde dans le cadre du projet « Histoire du livre et de l'imprimé au Canada », Université McGill, 12 novembre 2004. 
  • « Les relais de la morale et du genre sexuel dans la construction de l'expertise littéraire des femmes de lettres au tournant du XXe siècle », conférence dans le cadre du séminaire « Experts, pratiques d'expertises et productions de normes », organisé par Delphine Naudier et Cédric Lomba, Cultures et sociétés urbaines (CSU), CRNS-Paris VIII, 8 juin 2004. 
  • « La sociabilité comme sociologie de l'impasse littéraire : le cas des femmes de lettres canadiennes-françaises au tournant du XXe siècle », Journée d'étude sur les médiations socioculturelles, organisée par Pascal Brissette (Collège de sociocritique et CRILCQ), Université Laval, 16 avril 2004. 
  • « Françoise, critique littéraire : espace éditorial et stratégies discursives », 24e Journée d'échanges scientifiques de l'Association québécoise pour l'étude de l'imprimé (AQÉI), Université Laval, 10 octobre 2003. 
  • « Émergence d'une critique au féminin au Canada français au tournant du XXe siècle », atelier Réception institutionnelle et médiatique des oeuvres littéraires féminines francophones, Congrès du Comité international d'études francophones (CIEF), Nouvelle Orléans, 14-22 juin 2003. 
  • « Les carrières des écrivaines canadiennes-françaises », atelier « Femmes et écriture », organisé par Delphine Naudier (IRESCO, Paris), dans le cadre du 3e colloque international des Recherches féministes francophones , Toulouse, Université de Toulouse-Le Mirail, 17 au 22 septembre 2002. 

Ouvrage

  • [en préparation] Du pain, quelques idées, beaucoup d'assurance et quelquefois un mari : Les femmes de lettres canadiennes-françaises au tournant du XXe siècle, Québec, Nota bene, date de parution à déterminer.

Articles et chapitres de livres

  • « L'Exposition universelle de Paris (1900) et son influence sur les réseaux des femmes de lettres canadiennes », dans Gérard Fabre et Denis Saint-Jacques (dir.), Études littéraires : dossier « Les réseaux littéraires France-Québec au début du XXe siècle », vol. 36, no 2, automne 2004, p. 17-30.
  • « Persister et signer : Les signatures féminines et l'évolution de la reconnaissance sociale de l'écrivaine (1893-1929) », dans Pierre Hébert et Marie-Pier Luneau (dir.), Voix et images : dossier « Le pseudonyme au Québec : 'paravent derrière lequel se cachent des êtres méprisables' ou 'mensonge qui ne fait de mal à personne' ? », no 88, automne 2004, p. 67-79. 

Direction de mémoires et thèses

  • Kathleen Tourengeau, mémoire «La trajectoire de Blanche Lamontagne-Beauregard, 1889-1958», direction: Denis Saint-Jacques, co-direction: Chantal Savoie, date de dépôt prévue: automne 2005. Établir la trajectoire de la poète Blanche Lamontagne-Beauregard en la situant dans le champ littéraire du début du XXe siècle au Québec et dans l'histoire littéraire des femmes en particulier.

Chercheur principal

Financement

  • Subvention ordinaire de recherche (CRSH)
    2002 - 2005