Femmes et pouvoirs dans le bailliage de Montréal (1644-1693)
"Femmes et pouvoirs dans le bailliage de Montréal (1644-1693)" vise à renouveler la recherche historique sur les femmes par l'étude des dynamiques de pouvoir dans les archives judiciaires montréalaises. Il s’agira d’étudier les motivations, pouvoirs et actions judiciaires des femmes de Montréal d'autrefois - et donc de tous les hommes qui leur sont alliés ou opposés - dans les structures sociales, ethniques, politiques, émotionnelles/ religieuses et économiques du régime français. C'est qu'en retraçant l'agentivité [ou capacité d'un individu à agir sur son propre destin] des femmes dans les archives judiciaires de Montréal, j'ai découvert avec surprise qu’entre 1693 et 1760, les femmes de tout état, de toute condition et de toute ethnie interviennent en très grand nombre (dans 67% des 6413 dossiers archivés par BAnQ) et à des titres très variés devant la justice du roi. Mais encore plus surprenant: dans 29% des cas, des femmes différentes, mariées ou non, religieuses ou laïques, noires libres ou esclaves, autochtones libres ou « panisses » agissent de leur propre chef. J’ai aussi découvert qu’il était impossible de faire le même recensement dans le Bailliage, la première juridiction de Montréal, car ses archives, aux graphies difficiles à déchiffrer, ne sont ni numérisées ni décrites. Résultat: le 17e siècle est oublié des chercheur-es comme du grand public de sorte que notre histoire est amputée de sa période fondatrice. Ces constats m’ont convertie à l’histoire de la justice, à la perspective intersectionnelle (qui, dans l’analyse des pouvoirs, prend en compte le genre, l’ethnie, la condition socio-économique et la religion) et pour finir, à l’étude exhaustive du Bailliage de Montréal. J’entends relever les défis de taille qu’impose ma triple conversion dans ce nouveau projet. L'exemple de Montréal servira de «laboratoire» qui permettra d’ériger un modèle d’analyse, lequel servira de socle à un projet collectif d’envergure qui, à terme, analysera le savoir-faire en matières judiciaires des femmes de toute la Nouvelle-France aux 17e-18e siècles. Aussi en 2020-2022, il s’agira de 1) solidifier la base théorique et méthodologique du projet, en particulier par la maitrise de la paléographie grâce à la technologie numérique; 2) procurer des statistiques solides et sur la longue durée en élargissant l’analyse quantitative et qualitative au 17e siècle; 3) assurer le transfert et la littératie des connaissances du passé entre la collectivité des chercheur-e-s, les étudiant-e-s et le grand public. Ainsi le projet contribua à écrire une autre histoire coloniale fondée sur l'écho des voix féminines qui résonne au cœur des verbatim des interrogatoires, témoignages et dépositions. Au fil des pages des procès rendues accessibles et lisibles, nous verrons et "entendrons" les femmes, majoritairement analphabètes, qui n'ont laissé d'autres traces de leur existence que leur parole transcrite à la hâte par un greffier. Grâce à ces précieux documents enfin déchiffrés, nous connaitrons leurs nom, âge, fonction, état et condition et les verrons, nombreuses, et de toutes conditions, défendre leurs droits, se justifier, tenter d'éviter ou alléger les sentences. La réalisation de ce projet éclairera notre quête de solutions aux problèmes sociétaux car les questions de genre, de religion, d'ethnicité et de pouvoir qui la fondent sont au cœur des enjeux actuels du vivre ensemble. Et cela est d'autant plus urgent qu'aujourd'hui le savoir commun du passé occulte des us et coutumes, des aménagements entre prescriptions légales et pratiques, des façons de penser et d'être, des manières d'interagir ensemble et avec l'environnement - bref, tout un monde d'autrefois qui explique les pesanteurs qui pèsent sur notre société et pointe vers d'autres possibilités.
Chercheur principal
Financement
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Savoir (CRSH)
2020 - 2023