Écrire, lire, critiquer entre amies. Comment penser l'amitié féminine et ses effets sur les pratiques littéraires ?
Dans le prolongement des travaux de Claire Bidart (1997) et d’Anne Vincent-Buffault (1995, 2010) qui ont soulevé la question de l’histoire et des modalités de l’exercice de l’amitié comme lien social, j’entends m’attacher à cerner cette autre façon d’entretenir des relations qu’est l’amitié et à définir les possibles qu’elle ouvre aux femmes dans le domaine de la littérature. À partir de l’exemple de Jeanne Lapointe, l’une des figures féminines parmi les plus importantes de l’histoire intellectuelle québécoise du XXe siècle, et des empreintes d’amitié qu’elle a laissées à travers ses lettres et ses notes, le projet « Écrire, lire, critiquer entre amies » souhaite poser les bases d'une approche de l'amitié entre femmes dans la constitution sociale de la littérature et ainsi combler les lacunes des travaux théoriques sur le lien amical féminin. Lapointe présente un sujet tout désigné pour penser l'amitié entre femmes et ses effets sur les pratiques littéraires en raison des amitiés, profondes et durables, qu'elle a liées avec des écrivaines comme Anne Hébert, Marie-Claire Blais, Gabrielle Roy, Monique Bosco, Louky Bersianik et Madeleine Gagnon. Le choix de Lapointe s'explique aussi parce que ses archives offrent un point de vue unique, un accès parmi les plus directs sur les façons dont peut jouer l'amitié féminine sur l'activité littéraire. Or, au sein des réseaux féminins de Lapointe s'entremêlent des relations d'amitié et de mentorat dont ni l'histoire littéraire, ni la sociologie de la littérature, ni la critique au féminin n'ont encore mis en lumière le rôle. Arrimant les théories de l'épistolaire (Grassi, Haroche-Bouzinac, Diaz, Melançon), celles de l'amitié (Bidart, Vincent-Buffault) et celles du réseau (Lacroix, Degenne et Forsé, Denis et Marnettte, Dozo), j'entends dépasser la « courtepointe de l'amitié entre femmes » (Audet, 2000), c'est-à-dire une compilation de cas de figure, pour appréhender de manière perspicace ce lien social particulier dans toutes ses ramifications (littéraire, politique, sociale, féministe, personnelle).
Contribuant à l'histoire de la littérature, à l'approfondissement de la compréhension du champ littéraire québécois ainsi que des sociabilités en littérature, mon projet cherchera à observer comment ces échanges autour de la littérature et la vie quotidienne permettent-ils à chacune de trouver sa voix comme sujet, de se découvrir comme écrivaine et comme critique dans le dialogue et les idées partagées ? Quelle éthique (Collin) de l’amitié et de l’écriture se dégage de ces échanges et quels sont ces impacts sur le processus de création des œuvres ? Quelles sont les potentialités formelles, discursives et politiques de la lettre, de la correspondance, qui en font un « autel de l’amitié » (Vincent-Buffault, 2010) et une « archive de la création » (Leriche et Pagès, 2012 : 1), soit un laboratoire de l’œuvre et de la posture littéraire et intellectuelle féminine ? Pour apporter des éléments de réponse à ces questions, je me pencherai sur trois types de sources : les correspondances échangées entre Lapointe et ses amies écrivaines, les manuscrits du roman Alexandre Chenevert et de 10 textes poétiques de Marie-Claire Blais déposés dans le fonds d'archives de Lapointe à BAC annotés par la professeure de littérature et les dédicaces, celles des oeuvres et celles de exemplaires personnels offerts à Lapointe.
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