À l’aube des littératures francophones : les premiers romans
La francophonie littéraire représente un ensemble flou à l'intérieur de la République mondiale des Lettres. Tour à tour les désignations de littératures mineures (Deleuze et Guattari, d'après Kafka, 1975), minoritaires, petites littératures (Kundera, 1993), de l'exiguïté (Paré, 1992) ou de l'intranquillité (Gauvin, 1997) ont été choisies pour décrire des systèmes littéraires à la fois autonomes et interdépendants. Ces écrivains ont en commun de se situer « à la croisée des langues», dans un contexte de relations conflictuelles -- ou tout au moins concurrentielles -- entre le français et d'autres langues de proximité. Ce qui engendre chez eux une sensibilité plus grande à la problématique des langues, soit une surconscience linguistique (Gauvin, 1997, 2000) qui fait de la langue un lieu de réflexion privilégié, un espace de fiction voire de friction. La notion de surconscience renvoie à ce que cette situation dans la langue peut avoir à la fois d'exacerbé et de fécond. Ces écrivains ont aussi en commun d'appartenir à des littératures jeunes, dont les plus anciennes remontent au XVIIIe siècle, en ce qui concerne la Suisse, ou au XIXe, pour le Québec et la Belgique. D'autres, beaucoup plus récentes, comme la littérature tahitienne, situent leurs commencements au cours du XXe siècle. D'où notre intérêt pour interroger, à travers la forme roman, les textes témoignant de l'origine de ces littératures.
« La fiction, c'est le droit de raconter, le droit de dire l'organisation contrôlée du monde » déclare Édouard Glissant (2011). Comment ce droit s'est-il exprimé à l'aube des littératures francophones ? Quels liens l'émergence du genre romanesque a-t-il avec l'idée de littérature nationale, une idée qui était discutée au Québec alors qu'à la même époque, en Belgique, elle était contestée. Si le genre est lié au développement de la société industrielle en Europe, force est de le considérer comme une forme « importée » dans une grande partie des aires francophones. Dans quelle mesure les premiers romans francophones annoncent-ils les traits qui seront récurrents dans les fictions ultérieures, tels que la mise en scène du multilinguisme ou les diverses formes d'autoréférentialité qui constituent une mise en abîme de l'écriture ? Dans quelle mesure interviennent les modèles français ou dans quelle mesure le recours à la forme romanesque est-il une contestation de cette forme même dans le contexte des stratégies postcoloniales ? Ce sont ces questions que nous explorerons à travers l'étude des premiers romans publiés par des écrivains provenant de divers lieux de la francophonie. Nous nous proposons ainsi un triple objectif :
- Repérer, dans une perspective historique, l'émergence du genre romanesque dans les aires de la francophonie concernées ;
- Discuter les notions apparentées de textes premiers, de textes fondateurs et de textes emblématiques ; analyser les romans identifiés et repérer les traits récurrents observables dans l'ensemble des textes.
- En comparant les situations ainsi divulguées, en arriver à proposer une typologie des littératures francophones en fonction des modalités de la fiction telles qu'elles ont été mises en oeuvre dans les premiers romans.
Plus largement encore, il s'agira de réfléchir à la place de la fiction -- et de la littérature -- dans l'économie des sociétés en gestation. Cette recherche servira ainsi à « questionner le roman » (Bessière, 2012) et à en discuter le fonctionnement. Nous faisons l'hypothèse que chacun de ces premiers romans répond implicitement à la question : « A quoi sert la littérature » et aux interrogations inéluctables: « Écrire, pour qui ? » et « pourquoi ? ».
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Savoir (CRSH)
2017 - 2021