La quarantième Rencontre québécoise internationale des écrivains renoue avec une tradition d’engagement présente dès sa naissance et tout au long de ces quatre décennies de littérature. En témoignent plusieurs des sujets proposés depuis 1972: L’écriture est-elle récupérable ? (1974), La femme et l’écriture (1975), Où en sont les littératures nationales? (1976), Les risques du métier (1977), Écrivain et lecteur (1982), Écrire en l’an 2000 (1996). Durant ces quarante années, les conditions d’exercice de l’art littéraire et du métier d’écrivain ont radicalement changé : bouleversement de la carte géopolitique (chute du communisme, montée des intégrismes), posant aux écrivains la question du « sens de l’Histoire »; émergence de nouvelles problématiques (écologie, relations interculturelles) ; mobilité accrue (voyages, migrations) ; évolution sociale et culturelle qui fragilise le rôle de la littérature dans la production de l’imaginaire collectif ; révolution informatique, transformations du livre, contraintes de plus en plus sensibles des marchés. Où en sommes-nous ? «2012: montée du phénomène de l’autoédition, (…), rôle accru des agents littéraires (…) ; baisse du prix du téléchargement ; réaffirmation de la puissance d’Amazon (…) ; montée en puissance de Google, Apple et Kobo ; accroissement des investissements des éditeurs dans le marketing», résume Pierre Assouline dans le Monde du 7 janvier. À des lieues de ces réalités, pourtant, incompatible avec elles, le désir d’écriture se niche toujours dans les mêmes replis de l’être. Durant ces mêmes quarante dernières années, bien d’autres thèmes traités à la RQIÉ indiquent que le projet, l’objet, le sujet de la littérature et la littérature même ne changent pas : L’Écrivain et l’errance (1972), Écrire l’amour (1983), La tentation autobiographique (1986), L’écrivain et la liberté (1989), L’écrivain et l’enfance (1999), L’écrivain et la guerre (2000), L’éphémère ( 2007), Éros et ses fictions (2011). Si le projet d’écrire comme projet de vie donnant sens à l’existence, permettant de survivre au non sens et de l’inclure, continue à avoir une signification pour nous, écrivains, on entend et on lit de plus en plus, sous la plume d’écrivains, même, que la littérature à strictement parler n’existerait plus et qu’il faudrait se préparer à en assumer les conséquences. Est-ce cynisme, passéisme, ou lucidité et courage ? Peut-on écrire comme si rien n’advenait autour de nous? Serait-on en droit de rester léger face à ces questions, de les prendre au jeu? L’avènement de l’artiste, l’énigme du verbe, le travail de la langue : comment y rester aujourd’hui fidèle ? La littérature peut-elle même vouloir quelque chose ? Vouloir dire ? Vouloir faire ? Vouloir être ? Que veut-elle pour le lecteur, qu’offre-t-elle? Quel est son vouloir par rapport à celui de la science, de la philosophie, de l’image plastique ? Nous nous proposons de replonger au cœur de ce désir d’écrire le monde et dans le monde tel qu’il est devenu et à devenir, tout en réfléchissant à l’incidence du présent et des contextes sur la vie et le métier de l’écrivain et sur l’existence de la littérature.
Table ronde avec Nicole Brossard (Québec), François Hébert (Québec) et Naïm Kattan (Québec), animée par Louise Déry.