Pensée de l'abîme chez Edmund Alleyn : de la non-objectivité post-automatiste aux Éphémérides

Pensée de l'abîme chez Edmund Alleyn : de la non-objectivité post-automatiste aux Éphémérides

Le but principal de cette recherche sera de mettre en évidence par l'étude du discours de la réception critique, par l'analyse formelle des oeuvres et l'examen des événements qui ont orienté la vie et la carrière d'Edmund Alleyn, l'apport singulier de cet artiste, l'un des plus fascinants de la période post-automatiste mais aussi paradoxalement l'un des plus méconnus. Il s'agira ici de réévaluer, à travers une analyse systématique, cette oeuvre originale et polymorphe, pour en présenter une interprétation informée et structurée. Cette entreprise critique a donc pour objectif de situer, à partir de l'analyse des divers procédés et expérimentations formelles qui ont jalonné son parcours (peinture, installation, film et oeuvre multimédia), la contribution de cet artiste qui a longtemps fait carrière en France, sans toutefois jamais rompre ses liens avec le Québec. Cet examen critique vise à inscrire l'oeuvre dans son contexte culturel afin de mieux faire apparaître sa portée au plan de l'historiographie artistique québécoise. Ce projet de recherche prendra la forme d'un essai entièrement consacré à cet artiste multidisciplinaire innovateur qui a réalisé avec l'Introscaphe, présenté en 1970 au Musée d'art moderne de Paris, une des toutes premières oeuvres multimédia au monde. 

Cette étude a donc pour objectif la mise en forme d'une appréciation critique portant sur l'ensemble de l'oeuvre d'Edmund Alleyn. Des précisions terminologiques sur des mots-clefs contribueront à mieux cerner une démarche que l'artiste a décrit vers la fin de sa vie comme une « suite ininterrompue de ruptures » . La notion « d'art non objectif » (Auguste Herbin), et celle de « figuration narrative », telle que définie par le critique français Gérald Gassiot-Talabot, qui servit à qualifier le courant artistique auquel devait adhérer Alleyn à Paris dans les années 1960 (avec les peintres Monory, Rancillac, Cheval Bertrand), seront questionnées. De même, les affinités d'Alleyn avec le monde de la littérature – son intérêt très grand pour la question du double, inspirée directement de l'oeuvre littéraire de Fernando Pessoa –, sa fascination pour les notions de spectralité, son inquiétude et son désarroi nés de la menace persistante qui guette la survie de toute oeuvre seront également considérées. L'image comme effet de sidération (l'image commerciale programmée, fabriquée, qui déréalise le monde) telle qu'elle apparaît dans plusieurs installations de l'artiste des années 1970, sera aussi étudiée. De même, la méfiance d'Alleyn à l'endroit du geste apparemment « libre » (action painting), dont il saisit très vite les limites et qui représente pour lui la voie toute tracée du machinal et du conventionnel (Michaud, 2005), le conflit entre le peintre et l'artiste, formeront quelques-unes des lignes de force de ce travail. Enfin, une attention particulière sera donnée au manifeste contresigné par Alleyn contre « l'avant-gardisme » paru dans la revue suisse Panderma en 1958 (texte qui, à ma connaissance, n'a jamais été commenté par les historiens d'art d'ici), qui montre la vigilance de l'artiste à l'endroit du modernisme artistique défendu par plusieurs peintres de son temps qui avait déjà tendance à se figer. Depuis l'entretien filmé qu'il accorda à Judith Jasmin dans l'atelier de Borduas à la fin des années cinquante où il aborde de front la question de « la mort de la peinture », Alleyn n'a cessé d'envisager le tableau, « dans l'épaisseur du silence qu'il fait régner » (Jean-Christophe Bailly, L'atelier infini, 2007) comme un impénétrable abîme. Je me propose donc d'interpréter cette oeuvre dite « mélancolique », portée par la tension d'une inquiétude permanente, où la mort du médium constitue « le vrai sujet du tableau », depuis la violence de l'écart et le retrait où elle n'a cessé de se penser. 

Si l'on ne compte plus, depuis la mort de Borduas survenue à l'aube de la Révolution tranquille, le nombre de travaux universitaires consacrés à la période automatiste, la situation est fort différente concernant les peintres de la période post-automatiste. Alors que la contribution des Borduas, Leduc, Ferron, Mousseau, Gauvreau est pleinement reconnue par l'histoire de l'art et que ces artistes ont eu droit à des rétrospectives importantes et à des célébrations marquées (reste présent à la mémoire le colloque « Les automatistes à Paris » tenu en 1998 dans la métropole française ainsi que les festivités qui ont souligné bruyamment à Montréal cette même année le cinquantenaire de la publication du manifeste Refus global), la situation est tout autre pour la génération d'artistes qui suit immédiatement ces premières avant-gardes. Ce projet vise donc, à travers l'étude précise des expérimentations formelles d'un artiste indépendant, à rendre compte d'un moment-charnière de notre histoire artistique culturelle. Il a donc pour objectif de contribuer aux études sur le post-automatisme, ainsi qu'au renouvellement des discours qui lui sont consacrés. 

Il peut paraître par ailleurs étonnant que la contribution d'Alleyn n'ait pas été davantage soulignée par la critique d'art européenne et québécoise. Cette situation tient en partie à Alleyn lui-même, qui a choisi sciemment de se placer en retrait, mettant l'accent sur l'œuvre à réaliser plutôt que sur la recherche d'une reconnaissance publique. Alleyn a refusé volontairement de faire son autopromotion, ce qui a de toute évidence à la longue desservi son oeuvre au plan de son rayonnement et de sa diffusion. Un regain d'intérêt pour l'oeuvre d'Alleyn a cependant pris forme depuis la disparition de l'artiste. On a d'ailleurs pu observer la présence importante d'Alleyn lors de la récente exposition « Cuba » présentée au Musée des beaux-arts de Montréal en 2008 (par sa collaboration à la grande fresque collective réalisée en 1967 à Cuba et l'exposition de plusieurs photos des membres de la « figuration narrative » (dont une intitulée « Jacques Monory (profil), Bernard Rancillac et Edmund Alleyn », de même que par la mise en vitrine de plusieurs documents, dont une lettre d'invitation personnelle qui lui fut adressée par l'artiste surréaliste Wilfredo Lam. Pour souligner les quarante ans de Mai 1968, une rétrospective consacrée à la « Figuration narrative » a aussi été présentée au printemps 2008 au Grand Palais à Paris. Si la figure de Alleyn apparaît sur certaines photographies de groupe, aucune oeuvre de lui ne fut exposée dans le cadre de cette exposition, ce qui est très regrettable. La présentation de « La figuration narrative » au Grand Palais, une exposition d'envergure internationale, a par ailleurs été l'occasion d'un retour critique important en France et plusieurs publications récentes (catalogues, monographies, numéros de revue, etc.) sur cette période très intense de la carrière du peintre acquises sur place lors de ma visite à Paris en juin 2008 me permettront de mieux cerner et comprendre les visées de ce courant éclectique qui trouve son inspiration dans le Pop art des années 1960. Il faut donc souhaiter que ce projet de recherche sur Alleyn aide à redresser la situation et contribue à mieux faire connaître sa contribution artistique au Québec et à l'étranger.

Chercheur principal

Financement

  • Établissement des nouveaux professeurs chercheurs (FRQSC)
    2009-05 - 2012-05