Revue Mens, dossier « Le “moment américain” des universitaires québécois. Appropriations, transferts et réseaux, 1930-1960 »
RÉSUMÉ
Les années d’ascension du nazisme et de la seconde Guerre mondiale correspondent à une période charnière de l’histoire intellectuelle du Canada français. Face à une Europe sous tension, le Québec fut momentanément contraint de restreindre ses relations avec le Vieux continent et, corollairement, avec ses milieux savants, au premier chef avec la France, destination jusqu’alors privilégiée.
Argumentaire
Les années d’ascension du nazisme et de la seconde Guerre mondiale correspondent à une période charnière de l’histoire intellectuelle du Canada français. Face à une Europe sous tension, le Québec fut momentanément contraint de restreindre ses relations avec le Vieux continent et, corollairement, avec ses milieux savants, au premier chef avec la France, destination jusqu’alors privilégiée. Rapidement, l’Amérique états-unienne, devenue un refuge pour les arts, les lettres et les sciences du monde libre, s’imposera comme une alternative aussi crédible que prometteuse. Ce basculement dans le monde des idées sera décisif à plus d’un titre pour le Canada français, à commencer par l’itinéraire de ses intellectuels et hommes de science qui, de Pierre Elliott Trudeau à Guy Frégault en passant par Jean-Charles Falardeau, Guy Rocher, Luc Lacourcière, Raymond Breton, Roger Marier, Michel Brunet, Maurice Lamontagne, Maurice Tremblay, Marcel Trudel et plusieurs autres, ont fréquenté le sanctuaire convoité des campus américains pour y compléter leur formation supérieure et, dans certains cas, y accomplir un parcours intellectuel initiatique. Cette nouvelle proximité intellectuelle s’est également traduite par la venue, dans le Québec des années 1930 à 1960, de savants américains de renom tels Everett C. Hughes, Horace Miner, Jean Delanglez et Mason Wade. Elle allait ouvrir une nouvelle ère d’échanges et de sociabilité académique avec les milieux intellectuels et étudiants états-uniens, laquelle laissera sa marque dans une culture étudiante et universitaire québécoise en pleine expansion. Voilà autant de croisements et d’échanges avec une Amérique états-unienne conquérante qui invitent à repenser la fabrique du champ scientifique et intellectuel québécois en termes de transferts et de métissages, d’autant que nombre de ces intellectuels et étudiants furent des figures clés des réformes modernisatrices de la Révolution tranquille.
D’importants travaux ont abordé l’histoire de cette imprégnation du monde intellectuel américain sur les universitaires québécois (Fournier, 1986 ; Warren, 2003 ; Langlois, 2012 ; Michel, 2014 notamment). Cependant, il y a encore beaucoup à découvrir quant aux expériences de nos universitaires en sol américain, aux réseaux qu’ils ont fréquentés, aux transferts d’idées et de concepts qui en ont résulté, aux textes et aux ouvrages scientifiques qui ont circulé de part et d’autre de la frontière, aux représentations de l’Amérique que cette mobilité a suscitée ou encore au rôle des grandes fondations philanthropiques (Carnegie et Rockefeller) dans le développement des sciences canadiennes-françaises. Ces aspects évoquent un phénomène d’importance, qui suggère un espace transnational en mutation, fait d’une multitude d’acteurs, d’échanges et d’intérêts.
Ce numéro spécial de la revue Mens entend poursuivre et approfondir ce chantier de recherche prometteur, en invitant les chercheurs de toutes disciplines à soumettre des propositions d’articles recoupant l’une ou l’autre des thématiques de recherche (non exclusives) suivantes, concentrées autour des décennies 1930 à 1960 :
- Le séjour d’étude comme « expérience initiatique » : Qui sont les universitaires québécois et canadiensfrançais à avoir complété un séjour d’étude aux États-Unis ? Par quels organismes et institutions ont-ils transité ? Quelles trajectoires ont-ils suivies ? Quels lieux ont-ils fréquentés et auprès de quels maîtres ? Comment ont-ils vécu l’adaptation à l’environnement des campus américains et comment ont-ils investi leurs terreaux ? Quelles furent les impressions ressenties ? Dans quelles disciplines ces migrations intellectuelles ont-elles été les plus significatives ? Quels réseaux transfrontaliers ces expériences dessinent-elles ?
- Les « retours d’Amérique » : À l’image des « retours d’Europe », pour décrire l’état des intellectuels québécois redécouvrant, après un séjour en France, leur société d’appartenance, peut-on parler de « retours d’Amérique » ? Quelles similitudes et différences peut-on déceler entre les deux expériences ? Comment ces séjours initiatiques en Amérique ont-ils transformé celles et ceux qui les ont accomplis ? Quel décalage culturel s’en est-il suivi ? Quelle acculturation disciplinaire s’est-elle opérée ? Quels legs ces échanges ont-ils laissé sur le plan institutionnel ?
- Les échanges et transferts intellectuels entre le Québec et les États-Unis : En quoi cet engouement pour l’Amérique autour de la Deuxième Guerre mondiale implique-t-elle une mutation culturelle et intellectuelle dans l’espace des idées au Québec ? En quoi les échanges et transferts ont-ils participé à la transformation des représentations des États-Unis au Québec ? Quel est le poids du « détour américain » dans la constitution du champ intellectuel et scientifique québécois d’après-guerre ? Quels modèles, systèmes de pensée et concepts ont été importés par suite de ce moment américain ? Quelle empreinte canadienne-française les échanges et transferts ont-ils laissée aux États-Unis ?
Modalités de contribution
Les propositions d’article doivent être soumises avant le 1er décembre 2016, à l’adresse suivante : momentamericain@gmail.com et comprendre le nom de ou des auteurs et leur institution d’attache; le titre de l’article; et un résumé d’environ 500 mots.
Les auteurs sélectionnés seront par la suite invités à soumettre une première version de leur article (6 000 à 12 000 mots, notes de bas de page incluses) avant le 1er avril 2017 en vue d’une publication à l’hiver 2018.
Comité éditorial du dossier
- François-Olivier Dorais, candidat au doctorat, Département d’histoire, Université de Montréal
- Jean-François Laniel, candidat au doctorat, Département de sociologie, Université du Québec à Montréal
- Daniel Poitras, postdoctorant en histoire, Université de Toronto
- Jules Racine St-Jacques, Ph. D. histoire, Direction des affaires institutionnelles et de la bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec