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Appel de textes

Appel de textes : Revue « Intermédialités », no 27

Revue Intermédialités : Histoire et théorie des arts, des lettres et des techniques, dossier « Traduire / Translating », no 27 (printemps 2016)
Sous la direction de Myriam Suchet (Paris 3 – Sorbonne Nouvelle)

  • Date de soumission des propositions : 21 décembre 2015
  • Annonce des résultats de la sélection des propositions : 15 janvier 2016
  • Soumission des textes complets aux fins d’évaluation : 30 mai 2016
  • Publication des textes retenus par le comité de lecture : novembre 2016

Intermédialités est une revue référenciée bisannuelle qui publie en français et en anglais des articles évalués de façon anonyme par un comité de lecture.
Les propositions de contribution (300 mots max.) devront être écrites en anglais ou en français, et envoyées avant le 21 décembre 2015 à la directrice du numéro thématique, à l’adresse suivante : myriam.suchet@univ-paris3.fr
Le comité de lecture fera ensuite part de ses décisions le 15 janvier 2016 et les articles seront à remettre le 30 mai 2016. Les articles définitifs ne devront pas dépasser 6 000 mots (40 000 caractères espaces compris) et peuvent comporter des illustrations (sonores, visuelles, fixes ou animées) dont l’auteur de l’article aura pris soin de demander les droits de publication.
Il est demandé aux auteurs d’adopter les normes du protocole de rédaction de la revue disponible à l’adresse suivante.
Pour de plus amples informations sur la revue, vous pouvez consulter son site web, ainsi que ses anciens numéros accessibles en ligne sur la plateforme Erudit. 

Argumentaire

De nombreuses études montrent que l’acte de traduire implique une relation de pouvoir. La traduction, du moins lorsqu’on l’envisage comme un transport ou un transfert d’une source A vers une cible B, participe à instituer ou du moins à consolider une entité (A : une langue, une œuvre, une identité, une culture) par opposition à une autre (B), qui sera considérée comme étrangère selon des coordonnées géographiques, historiques et politiques. Les dichotomies distinguant notamment les couples source/cible, fidélité/trahison, texte de départ/d’arrivée, sont autant de symptômes de ce rapport de force. Une dichotomie, en effet, contribue toujours à forger les deux pôles qu’elle distingue. Envisageant la traduction dans sa dimension linguistique et coloniale, Eric Cheyfitz1 expose le processus par lequel les incompréhensions et les désaccords internes au groupe des colons ont été stratégiquement objectivés, extériorisés et projetés sur la ligne de partage (imaginaire) qui oppose de manière binaire « la langue » à soi et « la langue » des autres. Si la traduction peut se figurer comme un pont, c’est donc au moins autant une arche de concorde qu’une entreprise pour stabiliser les berges en les maintenant opposées.
En quoi et comment la puissance de l’acte traductif peut-elle se retourner en force de proposition ou en contre-pouvoir ? L’opération traduisante est-elle en mesure de transformer des manières d’être, de penser et de faire ? Saurons-nous nous départir, avec les anciennes dichotomies, de ces autres lignes de partage qui opposent Orient/Occident, Soi/Autre, Nation/migrants, etc., et selon quels renouvellements anthropologiques, quelles subjectivations inédites ? Pourrions-nous traduire notre discours scientifique et académique pour le faire résonner avec d’autres pratiques visuelles, graphiques, militantes et sociales ?
L’approche intermédiale ouvre des pistes, en tant que pensée relationnelle favorisant la conception de constellations, de faisceaux de nœuds ou d’arborescences au lieu de reconduire les lignes de partage et les entités fétichisées. Sans jamais oblitérer le grain de la toile, la trame du texte ou la spécificité de tel discours ou de telle œuvre, il s’agit de porter attention aux formes, mais plus encore à leurs interfaces et à la résistance des matériaux. En ce qui concerne la traduction, l’enjeu n’est plus de comparer pour mesurer pertes et gains ni de regretter un point d’origine supposément perdu, mais de faire jaillir ce qui fait événement dans la différence au point de redistribuer les postures identitaires. Il s’agit en outre de s’autoriser à traduire nos outils d’analyse d’un domaine (ou d’un support) donné à l’intention d’un autre pour envisager, par exemple, une politique de l’œuvre ou une poétique militante, analyser l’aspect visuel d’une recherche ou la musique d’une performance. Cette hybridation – qui, insistons encore une fois, ne perd jamais de vue les caractéristiques de chacune des formes, techniques et matières éprouvées – nous apparaît aussi comme l’occasion de combiner recherche-action et création selon une perspective qu’on peut dire indisciplinaire. Aborder la traduction de manière intermédiale, c’est ainsi tout à la fois relier des modes de production des œuvres, mailler les strates d’hétérogénéités qui les traversent et les composent, brancher des champs de recherche et embrayer l’UniverCité. Nous y voyons une chance, dans un contexte où les paradigmes obsolètes doivent être remplacés de toute urgence alors même que l’imagination de ce qui est à venir nous fait encore défaut.
Nous proposons donc d’envisager la traduction en acte dans les pratiques artistiques mais aussi politiques et militantes, indépendamment des langues et des codes utilisés. Une attention spécifique sera accordée aux langues des signes ainsi qu’aux cas d’hétérolinguisme. Nous attirons par ailleurs particulièrement l’attention sur les études de cas et exemples méconnus de l’institution universitaire : actions de terrain, plateformes de traductions participatives en ligne, performances traductives dans l’espace public, efforts de vulgarisation et de visualisation de données scientifiques, etc. Loin de réduire l’acte de traduire à une figure métaphorique, il s’agit d’en questionner les enjeux en croisant les regards. Qu’il s’agisse de littérature, d’interprétation en situation d’urgence, d’arts visuels, de théâtre ou d’adaptation cinématographique (la liste restant, bien entendu, ouverte), plusieurs questions transversales nous semblent se poser (là encore de manière non exhaustive) :

  • L’entreprise d’essentialisation que suppose la traduction entendue comme un transfert d’une entité stable à une autre (langue, œuvre ou identité) peut-elle s’inverser en mise en évidence des hétérogénéités constitutives ?
  • L’acte de traduire se donne-t-il à voir, à lire, à éprouver autrement que comme passage ou transfert, et dans ce cas sous quelles formes et dans quels termes ?
  • Peut-on traduire pour faire émerger d’autres processus d’individuation et de comm(e)un ?
  • Une traduction est-elle susceptible de proposer des alternatives aux logiques et aux politiques dominantes ?
  • Peut-on concevoir une histoire culturelle qui ne présuppose pas les identités comme des essences préalables à la rencontre mais les envisage comme une résultante de la rencontre même, qui dépasse la somme des parties ?
  • Quelles sont les fonctions respectives des supports, des techniques et des institutions dans la production et la diffusion de traductions reconnues comme telles ?
  • Comment choisit-on une œuvre, un discours ou un texte à traduire ? Comment compose-t-on avec les différentes pressions du système de production et commercialisation d’une œuvre ?
  • Comment circulent les œuvres en langues signées ou mêlant les alphabets ?
  • Dans quelle mesure la traduction peut-elle servir d’interface entre les univers académiques, sociaux, politiques et culturels ?
  • En quoi traduction et intermédialité sont-elles particulièrement apparentées ?
  • Le nouveau format numérique de la revue est-il susceptible de nous amener à nous traduire autrement et à d’autres destinations ?

Nous favoriserons des recherches situées à la croisée des domaines de spécialisation (intersections philosophie/politique/sciences sociales, engagement militant/littérature, cinéma/musique/théâtre, narrations visuelles, etc.) et prêtant attention aux différents matériaux dans leurs résistances et potentialités.
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1. Eric Cheyfitz, The Poetics of Imperialism. Translation and colonization from The Tempest to Tarzan, Oxford University Press, New York, 1991, p.11.