Colloque « Voyages illustrés aux pays froids (XVIe – XIXe siècles) : de l’invention de l’imprimerie à celle de la photographie »
14 au 17 juin 2017 à l’abbaye des Prémontrés de Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle)
Collloque organisé par
LIS (EA 7305 — Université de Lorraine — Nancy)
Écritures (EA 3943 — Université de Lorraine — Metz)
LUHCIE (EA 7421 — Université Grenoble Alpes)
Imaginaire Nord (Université du Québec à Montréal)
Pourquoi, à la lecture des récits de voyage illustrés dans les Alpes, dans le Grand Nord (Arctique, Nord de l’Amérique, Scandinavie) ou encore en Sibérie, a-t-on le sentiment d’une parenté aussi diffuse et mystérieuse qu’évidente ? Dans ce genre d’ouvrage bien particulier, propice à la diffusion des représentations de réalités « exotiques », les textes et les images nous donnent le sentiment d’un univers à la fois proche et lointain, familier et déroutant : celui des pays froids.
La notion de « pays froid » (régions voisines des pôles, haute montagne, pays à hiver long et rigoureux, etc.) a émergé à partir des recherches menées, dans les années 1960, par le géographe et linguiste québécois Louis-Edmond Hamelin : elles l’ont conduit à proposer les concepts de « nordicité », d’« hivernité » et de « montagnité » pour souligner la continuité de représentation entre les paysages à première vue géographiquement hétérogènes que sont ceux du Nord (et du Sud antarctique), de la haute montagne, ainsi que les paysages hivernaux. Une telle continuité avait d’ailleurs été pressentie bien longtemps auparavant par nombre d’artistes et de voyageurs. Dès la Renaissance, Brueghel, dans ses paysages d’hiver, en avait conscience, de même que Windham et Bourrit en voyage à Chamonix au siècle des Lumières. En 1861, Xavier Marmier compare encore la mer de Glace au Spitzberg ou à la Nouvelle-Zemble. Jean-Jacques Ampère constate pour sa part, lors de sa traversée de la Norvège et de la Suède au cours de l’été 1827, qu’« [e]n s’élevant, on trouve toujours l’analogue des régions situées plus au Nord ». Ne craignons pas les anagrammes : pour nombre de ces voyageurs, latitude et altitude sont aisément interchangeables.
L’Antarctique mis à part – mais son exploration est tardive –, les « pays froids » représentent pour le monde occidental un ailleurs à portée de main, somme toute très voisin et duquel il participe souvent : « lumières du Nord » venues de Russie et de Suède à partir de l’âge classique ; hivers rigoureux d’Europe centrale et orientale ou d’Amérique septentrionale ; Grand Nord, terre de conquête et, à l’occasion, source identitaire. Cet ailleurs glacé reste toutefois très longtemps méconnu : rares sont les voyageurs qui s’aventurent au nord du cercle polaire arctique avant le XVIIIe siècle – chez les écrivains, Regnard reste l’exception avec son voyage en Laponie de 1681. Quant aux Alpes, on sait le peu d’intérêt qu’elles suscitent avant le « petit âge glaciaire » (Emmanuel Le Roy Ladurie) et leur entrée en littérature, de Haller (1729) à Rousseau (1761). Pourtant, ces contrées « qui touche[nt] aux confins de la terre vivante » (Mme de Staël), leurs paysages dignes d’un éternel hiver, leurs habitants aux moeurs étranges, leurs mythes, n’ont cessé d’exercer sur les Européens une fascination sans égale, de la Thulé des Anciens aux terres australes entrevues par Arthur Gordon Pym, en passant par la « fureur des Normands », les bains russes ou les dragons alpins.
Depuis les recherches menées par B. Stafford, entre autres, l’intérêt des récits de voyage illustrés n’est plus à démontrer pour qui s’intéresse aux relations entre le texte et l’image. En effet, l’apparition de l’imprimerie favorise dans l’Europe moderne le développement et la diffusion, rapidement phénoménaux, des représentations des pays lointains, en particulier sous la forme de cartes, de cosmographies et de récits de voyages accompagnés d’illustrations. Dans ces ouvrages qui resteront, jusqu’au XIXe siècle, d’incomparables instruments de savoir, les images entretiennent avec les textes des rapports qui s’échelonnent, selon les âges, de la complémentarité à la rivalité franche, de la connivence à l’indifférence. Elles sont aussi de nos jours une source inappréciable pour comprendre la manière dont les Européens, avant l’invention de la photographie, (se) représentent ce qui est – fût-il simplement situé aux marges de leur et pour explorer les systèmes sur lesquels se fondent ces représentations. Au-delà de celles-ci, les images permettent enfin d’interroger ce qui se passe dans l’acte de restitution : peut-on – et si oui comment – rendre compte d’un climat ou d’une condition climatique ?
Les récits de voyages illustrés aux pays froids offrent du coup un champ d’investigation particulièrement riche, que l’on se propose d’explorer de manière méthodique, au sein d’un cadre précis. D’un point de vue chronologique, on limitera le corpus aux ouvrages imprimés antérieurs à la photographie, dont l’apparition suscite de nouveaux enjeux et de nouvelles problématiques.
Le domaine géographique sera en revanche d’une délimitation infiniment plus complexe : où se trouvent les pays froids ? Au Nord à coup sûr, si l’on envisage les régions situées à proximité du cercle polaire arctique, mais il ne faut pas oublier d’autres contrées, plus éloignées du pôle : la Prusse par exemple, où « commence réellement la nature du Nord » (Ampère) ; l’Écosse de Nodier ou Stevenson ; la Russie et la Sibérie, situées tantôt au Nord, tantôt en Orient, selon les époques et les voyageurs ; le Canada, dont les interminables hivers déconcertaient en son temps Jacques Cartier… Et que dire des montagnes, en particulier de ces Alpes où Bourrit voit, entre France et Italie, se réunir « les horreurs des deux pôles » ? On ne négligera pas non plus la présence du froid dans des contrées plus tempérées, mais où les hivers peuvent de temps à autre se révéler rigoureux, comme dans la nouvelle région Grand Est, dont ils sont un incontestable trait identitaire. Quant à l’Antarctique, ce « Nord du Sud », et aux terres qui y confinent, ils pourraient, en dépit de leur découverte tardive, fournir des indications intéressantes sur la fin de la période envisagée.
Au sein du corpus ainsi délimité, les communications s’inscriront dans l’un ou plusieurs des axes suivants :
- Approches et méthodologies de recherche pour une typologie des ouvrages sur lesquels portera l’enquête : cosmographies, récits d’exploration, recueils de curiosités, ouvrages à vocation scientifique ou pédagogique, guides de voyage montrent des différences notables dans le dialogue qu’y établissent l’image et le texte ; on pourra aussi s’attacher aux spécificités de la cartographie, que les cartes soient ou non attachées à des ensembles plus vastes.
- Imaginaires du froid :
a) Le paysage de « pays froid » : la neige (de la tempête à l’étendue blanche), la glace (du glacier à l’iceberg), la végétation (de la forêt au lichen) ; on s’intéressera au rapport complexe entretenu par les Occidentaux avec ces paysages (les montagnes en particulier) jusqu’au milieu du XVIIIe siècle et aux substrats qui président à leur représentation (mythes et légendes, interdits religieux, préjugés esthétiques, entre autres). Outre les paysages naturels, on n’oubliera pas de s’intéresser aux paysages urbains.
b) Les « habitants » du Nord (hommes et animaux) : de la réalité au fantasme (monstres, barbares), la rencontre d’une altérité culturelle dont les traits sont ou non envisagés en relation inversée avec les habitants des terres chaudes conquises au même moment…
- L’écrivain-voyageur et le froid :
a) Voyager dans les pays froids : le corps du voyageur aux prises avec le froid, les vêtements, les moyens de transport, les difficultés de parcours…
b) Les observations sur le froid dans les voyages à vocation scientifique : mesures et questions, mises en forme visuelles.
c) La dimension spirituelle des « pays froids » : l’illustration des récits de mission qui s’y déroulent ; religion et mystique ; prosélytisme et/ou ascèse du froid ; parcours prenant la forme d’une anabase (Sibérie) ou d’une catabase (Islande).
d) Rendre compte du froid par la plume ou le pinceau : une modalité créative ? En quoi ?
Ce colloque présentera donc une série d’intérêts variés pour ses participants. Il permettra d’abord de faire le point sur les recherches consacrées aux représentations imagées du Nord et des pays froids, dans leur variété géographique et historique, de définir des cohérences entre des espaces à première vue hétérogènes, et d‘établir un premier recensement des sources en la matière, qui pourrait à terme déboucher sur la constitution de corpus littéraires et iconographiques consacrés à la représentation des pays froids.
Il offrira en outre l’occasion d’un dialogue entre des chercheurs de différents pays et de différentes disciplines (littérature, histoire, histoire de l’art, géographie, etc.), qui travaillent souvent sans avoir conscience de la proximité de leurs centres d’intérêt. De ce dialogue pourrait naître une collaboration fructueuse, au plan national et international, entre différentes équipes de recherche interdisciplinaires, en vue de mettre en place plusieurs développements possibles en fonction de leurs intérêts respectifs : séminaires de recherche, publications, constitution de bases de données avec transfert de technologie, entre autres.
Il pourrait par ailleurs être l’occasion de mettre en valeur les fonds patrimoniaux en la matière présents en Lorraine, sous la forme d’enquêtes, d’inventaires, et surtout d’une grande exposition bibliophilique. Il fournira enfin la possibilité d’un partage de compétences technologiques, susceptible de déboucher sur la mise en réseau des centres de ressources en la matière et la confection d’outils de recherche sur des supports différents, facilement accessibles aux chercheurs et au grand public.
Comité d’organisation
Gilles BERTRAND (Laboratoire Universitaire Histoire Culture(s) Italie Europe et Institut Universitaire de France — Université Grenoble Alpes), Daniel CHARTIER (Chaire de recherche sur l’imaginaire du Nord, de l’hiver et de l’Arctique et Laboratoire international d’étude multidisciplinaire comparée des représentations du Nord — Université du Québec à Montréal), Mathieu FREYHEIT (Littératures Imaginaire Sociétés — Université de Lorraine), Alain GUYOT (Littératures Imaginaire Sociétés — Université de Lorraine), Marie MOSSÉ (Littératures Imaginaire Sociétés — Université de Lorraine) et Anne-Élisabeth SPICA (Écritures — Université de Lorraine)
Comité scientifique
Philippe ANTOINE (Université Blaise Pascal — Clermont-Ferrand), Sylvie CAMET (Université de Lorraine), Béatrice COLLIGNON (CNRS), Claude HAUSER (Université de Fribourg), Fabienne JOLIET (Université d’Angers), Roland LE HUENEN (Université de Toronto), Ségolène LE MEN (Université Paris Ouest), Francine-Dominique LIECHTENHAN (CNRS), François MOUREAU (Université Paris Sorbonne), Alexandre STROEV (Université Paris Sorbonne Nouvelle), Trung TRAN (Université Paul Valéry — Montpellier), Hélène VEDRINE (Université Paris Sorbonne)
Modalités d’inscription
Propositions de communication:
- Langues du colloque: français et anglais.
- Toute proposition devra comporter
a) le titre et le résumé de la proposition (plus ou moins 1000 signes espaces compris en format word .doc),
b) une courte notice bio-bibliographique faisant apparaître en particulier
1) la discipline scientifique à laquelle appartient l’auteur de la proposition,
2) son établissement et son laboratoire de rattachement,
3) son adresse électronique.
- Elle sera adressée conjointement à
alain.guyot@univ-lorraine.fr
anne-elisabeth.spica@univ-lorraine.fr
matthieu.freyheit@univ-lorraine.fr
marie.mosse@univ-lorraine.fr
Date limite d’envoi: 1er novembre 2016
- L’ensemble des propositions seront soumises au comité scientifique pour évaluation et sélection: la réponse sera adressée aux participants début 2017.
- Le comité accordera un intérêt tout particulier aux propositions définissant une approche vaste et problématisée du sujet.
- La durée de chaque communication ne pourra excéder 30 minutes.
Droits d’inscription
- Tarif enseignant-chercheur: 45€
- Tarif étudiant non salarié: 20€