Activités

Colloque « Sociabilités imaginées : représentations et enjeux sociaux »

lundi 9 mai 2005 73e congrès de l'ACFAS - Colloque C-320
Université du Québec à Chicoutimi
Responsables : Michel Lacroix (Université du Québec à Trois-Rivières) et Guillaume Pinson (Université McGill).
Au cours des dernières années, un nombre croissant de travaux ont été consacrés à la sociabilité, tant du côté des historiens (Étienne, 1987, Racine et Trebitsch, 1992) que du côté des littéraires (Brunet, 1995, 2002; Rajotte, 2001, 2002; Tellier, 2003). Ces recherches ont permis de montrer l'importance des lieux de sociabilité dans la vie sociale et littéraire, ainsi que d'esquisser l'évolution de leurs formes au cours des XVIIIe, XIXe et XXe siècles, toutefois elle sont encore bien partielles. Une lacune, surtout, limite leur portée et dans certains cas leurs fondements mêmes, celle de sous-estimer ou d'ignorer l'importante des représentations dans le rapport à la sociabilité. Pour examiner dans quelle mesure les bals, cafés, cénacles, revues, salons, séjours balnéaires et autres phénomènes de sociabilité ont partie liée à l'imaginaire social, nous inviterons plusieurs spécialistes à se pencher sur les « sociabilités imaginées ». Leur réflexion tournera autour des deux axes de l'imaginaire et de ses formes, d'une part, et des enjeux sociaux propres aux représentations des sociabilités, d'autre part. Il s'agira ainsi d'examiner la médiatisation de la sociabilité dans les textes, les journaux, les tableaux, les photographies ou les films en fonction de l'essor progressif d'une culture médiatique, du XVIIIe au XXe siècle. Comment évoluent les discours sur la sociabilité, selon les époques et les lieux ? Quelles sont les formes de sociabilité les plus fréquemment convoquées ou les plus généralement ignorées ? Quel rôle jouent les différents médias dans l'imaginaire des sociabilités ? En même temps, ces interrogations seront animées par une perspective socio-historique attentive aux déterminations sociales, aux processus de civilisation (Élias), à la mise en scène de soi (Goffman), aux frontières mouvantes entre l'intime, le privé et le public.

Programme

9h00 : Ouverture
  • 9h15 : Anthony Glinoer (Université de Liège) et Vincent Laisney (CNRS)
    « De Daniel d'Arthez à Calixte Armel : le cénacle à l'épreuve du roman »
  • 10h00 : Ollivier Hubert (Université de Montréal)
    « Les conventions d'anciens collégiens dans la seconde moitié du 19 e siècle : occasions de représentations bourgeoises »
  • 11h00 : Björn-Olav Dozo (Université de Liège)
    « Enjeux des représentations de sociabilité véhiculées dans les discours sur la création d'une académie de langue française en Belgique »
11h45 : Dîner
  • 13h30 : Marie-Ève Thérenty (Université Montpellier-III)
    « Représentations des sociabilités journalistiques sous le Second Empire ou la naissance d'une fiction médiatique »
  • 14h15 : Guillaume Pinson (Université McGill)
    « Rumeurs, anecdotes, microrécits. Imaginer la mondanité dans la presse, vers 1900 »
15h00 : Pause
  • 15h15 : Michel Lacroix (Université du Québec à Trois-Rivières)
    « Sociabilités, secrets et dévoilements : Jean Paulhan et le mythe de l'éminence grise »
  • 16h00 : Chantal Savoie (Université Laval),
    « La communauté littéraire imaginaire des femmes de lettres au tournant du XXe siècle » 

Résumés des communications

  • Björn-Olav Dozo
    « Enjeux des représentations de sociabilité véhiculées dans les discours sur la création d'une académie de langue française en Belgique »
Ma communication vise à montrer l'évolution du discours des littérateurs belges à propos de la constitution d'une académie de langue française en Belgique. Cette académie a donné lieu à de nombreuses réactions dans les revues littéraires belges, sous différents modes (articles, réponses à des enquêtes, dialogues...). Les débats ont lieu principalement durant 25 ans, et se prolongent même après la fondation, le 19 août 1920, de l'Académie royale de Langue et Littérature françaises de Belgique. Je voudrais montrer quel imaginaire draine ce lieu de sociabilité propre à la Belgique littéraire, et en souligner les enjeux. Les questions identitaires sous-jacentes (quels sont les rapports de la littérature belge francophone avec la littérature française ?) trouvent dans ces débats institutionnels un écho particulier. La création d'une académie, en tant qu'institution littéraire proche du social, sert de prétexte à des prises de position dénotant des conceptions de la littérature radicalement différentes, qui s'affrontent. Il s'agit de mettre à jour les enjeux sociaux propres à ces représentations de la littérature et à leurs lieux de sociabilité. Ainsi, les agents expriment dans leurs discours un nombre important d'idées préconçues et de conceptions fantasmées au sujet de la sociabilité propre à une académie. Ce sont ces stéréotypes qu'il faut interroger pour mettre en évidence les tensions spécifiques à l'espace littéraire belge francophone. 
  • Anthony Glinoer et Vincent Laisney
    « De Daniel d'Arthez à Calixte Armel : le cénacle à l'épreuve du roman »
La communication confrontera deux oeuvres et deux modes de textualisation du cénacle, considéré comme la forme typique de sociabilité littéraire au XIXe siècle. On se penchera dans un premier temps sur le « Cénacle des Quatre-Vents » d' Un grand homme de province à Paris (1839), seconde partie d' Illusions perdues de Balzac. On étudiera le rôle archétypal que Balzac accorde à ce cénacle porté par les valeurs de Travail et de Patience, tant face à la littérature facile et au journalisme prostitué, représentés quant à eux dans le roman sous la forme du dîner orgiaque, que face aux cénacles romantiques fustigés sans cesse depuis 1829 par les journalistes, parmi lesquels Balzac lui-même. On comparera alors cette première représentation cénaculaire avec celle que Camille Mauclair donne dans Le Soleil des morts (1898), pour montrer qu'à l'inverse de ce qui se produit dans Illusions perdues , le cénacle est entraîné dans le mouvement d'altération générale du monde littéraire : le mythe du « cénacle idéal » vole en éclat, les valeurs cénaculaires font faillite, remplacées par celles que revendiquent les anarchistes (Énergie, Vitesse, Destruction). Entre ces deux romans-repères, publiés à soixante ans d'intervalle, le mythe platonicien de la Littérature, inaltérable et inviolable, réfugiée dans le « ciel des Idées » et symbolisée par le Cénacle, s'est effondré. Dans leur confrontation peut se lire, telle est du moins l'hypothèse que l'on tentera de vérifier, l'évolution des imaginaires d'écrivains en fonction de la reconfiguration du champ littéraire. 
  • Ollivier Hubert
    « Les conventions d'anciens collégiens dans la seconde moitié du 19 e siècle : occasions de représentations bourgeoises »
L'institution d'éducation secondaire avec latin a été partout en Occident, à partir du second 19 e siècle en particulier, un des dispositifs clefs du processus d'une construction d'une conscience élitiste et élitaire. Au Québec, les collèges classiques urbains et catholiques ont joué avec puissance ce rôle, crucial dans la mise en place d'une société hautement différenciée. D'abord parce qu'un réseau et un habitus bourgeois canadiens-français s'y sont formés, par l'élevage ségrégatif d'une masculinité adolescente de privilégiés. Mais aussi parce que l'âge adulte y a trouvé une source prolongée et rétrospective de légitimation. C'est ainsi que se sont construits un imaginaire de classe et une sublime mémoire collégiale, particulièrement à l'occasion des conventions d'anciens, qui apparaissent dans les dernières décennies du siècle. Ces rassemblements de vainqueurs sont moments d'intense sociabilité, mais plus encore, ils sont l'occasion de produire une représentation de ce que fut une sociabilité juvénile idéalisée. Ils laissent aussi, pour travailler à l'estime du groupe et à la reconnaissance publique de sa valeur, des traces qui fixent ce que la convention est supposée avoir été.
  • Michel Lacroix
    « Sociabilités, secrets et dévoilements : Jean Paulhan et le mythe de l'éminence grise »
« Notre personnalité sociale est une création de la pensée des autres » : cet énoncé proustien convient parfaitement à la trajectoire de Jean Paulhan et à sa transformation, dans les discours, en une nouvelle version du mythe de « l'éminence grise ». Partant de l'hypothèse selon laquelle le noyau de ce mythe est lié à la représentation du capital social, nous aborderons le problème du secret et du dévoilement dans les représentations des sociabilités, en l'appliquant au cas de Jean Paulhan.
  • Guillaume Pinson,
    « Rumeurs, anecdotes, microrécits. Imaginer la mondanité dans la presse, vers 1900 »
Dans cette communication, on se propose d'étudier la poétique du microrécit mondain à travers deux genres caractéristiques de la presse de la Belle Époque : la rumeur et l'anecdote. Ces deux petits genres ont ceci de fascinant qu'ils suggèrent un en-dehors du discours social, un ensemble de références et de pratiques sur lequel s'est cristallisée une partie de la mémoire culturelle de la mondanité française. On en observera les modulations dans des périodiques tels que La Vie Parisienne , Le Gil Blas et Le Grand Monde . La portée référentielle du microrécit ne doit pas empêcher de le saisir dans sa dimension poétique et rhétorique : il existe une contrainte de la mise en forme de la rumeur et de l'anecdote, que l'on explicitera. De plus, le microrécit se développe au coeur de l'univers médiatique. Dès l'origine, il porte donc une socialité bien particulière qu'il instaure et relaie, marquée par une double médiation : la mondanité telle qu'elle se donne effectivement à lire dans le microrécit, d'une part, et d'autre part l'horizon de la communauté plus large, distancée et anonyme, des lecteurs, qui imagine sa propre interdépendance par la connivence du « commérage » (Elias). Cette dynamique sociale est favorisée par le fait que le microrécit a un statut ambigu, entre référence et invention, qui permet à tous les jeux de l'imaginaire de se déployer. Le journal est ainsi un endroit où la communauté s'imagine (Anderson) au travers des petites fictions quotidiennes qu'elle s'invente et qu'elle s'écrit.
  • Chantal Savoie,
    « La communauté littéraire imaginaire des femmes de lettres au tournant du XXe siècle »
Dans la foulée des travaux récents sur les femmes de lettres canadiennes-françaises (Montreuil 2004; Roy 2003; Goulet 2001; Pilon 1999; Brosseau 1998; Turcotte 1996; Gosselin 1995; Robert 1992; Gerson 1992; Carrier 1988) et dans le prolongement des travaux que j'ai menés sur les carrières littéraires des femmes (Savoie, 2005), sur leurs réseaux et leurs associations (Savoie 2004 et Savoie 2002), sur leurs pratiques d'écriture (Savoie 2003) et sur l'émergence d'une expertise littéraire au féminin au tournant du XXe siècle, je souhaite m'intéresser aux sociabilités imaginées des femmes de lettre canadiennes-françaises telles qu'elles se donnent à apprécier dans les journaux et périodiques de l'époque. Plus spécifiquement, j'entends exploiter la communauté littéraire imaginaire que construisent les femmes de lettres en analysant la liste des auteurs les plus souvent recommandés par Joséphine Marchand, Françoise (pseud. de Robertine Barry), Gaétane de Montreuil (pseud. de Georgina Bélanger) et Madeleine (pseud. d'Anne-Marie Gleason) dans les différents périodiques et journaux dans lesquels elles signent leurs chroniques. Ce palmarès offre une perspective inédite sur la culture commune de l'époque. Outre qu'il permet de constater d'importantes distorsions entre les auteurs-vedettes et notre perception des auteurs qui compte pour l'époque, des résultats préliminaires permettent de poser l'hypothèse que sous l'apparent conformisme moral et social des suggestions de lecture, les femmes de lettres construisent une communauté littéraire au féminin susceptible de faire admettre certaines pratiques littéraires des femmes sans heurter de plein fouet l'idéologie dominante.
  • Marie-Eve Thérenty
    « Représentations des sociabilités journalistiques sous le Second Empire ou la naissance d'une fiction médiatique »
Des années 1830 au Second Empire, il n'est pas sûr que la sociabilité journalistique fondée sur la fréquentation de certains lieux publics (théâtres, cafés), la pratique de la blague, du canular et de l'esprit-Paris et une certaine connivence professionnelle évolue essentiellement. Il est certain en revanche que la représentation de cette sociabilité se métamorphose fondamentalement. Le tableau narratif (littérature panoramique, physiologie), lieu stratégique de la représentation du publiciste , laisse place à l'exhibition de la parole vive du journaliste sensible aussi bien dans les échos journalistiques (Le Figaro), dans les nouvelles à la main ou dans l'apparition d'une littérature de souvenirs tout entière dévouée à la promotion par l'anecdote des journalistes (Philibert Audebrand, Firmin Maillard). Par la médiatisation de la sociabilité journalistique, s'opère donc une reconstruction de l'écriture journalistique fondée sur la mécanisation du bon mot, sur une diffusion large et une circulation développée de l'anecdote de boulevard, une transmédialité et une sérialité de la communication journalistique. Cette sociabilité reconstruite par ceux qui en sont à la fois les médiateurs et les sujets (Aurélien Scholl), cet univers largement fantasmé et imaginé rendent manifestes le transfert d'un idéal de l'éloquence à une poétique de la conversation, le début de la construction d'une identité sociale de journaliste, la participation au recentrement du rire dans une société désormais ouverte sur le loisir et le divertissement.

renseignement

  • Michel Lacroix ou (819) 376-5011, poste 3864

Colloque

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lundi 09 mai 2005
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Université du Québec à Chicoutimi