Notre rapport au monde contemporain peut se résumer schématiquement en deux types d’expériences. La première est celle du trop-plein, de la surabondance, d’un chaos incontrôlable. La seconde est celle de l’irréalité, de l’étrangeté, de la perte de sens, d’un vide sémantique et ontologique. C’est sur ce double arrière-plan que la présente conférence veut proposer un cheminement, forcément partiel et partial, à travers la poésie qui s’écrit, tant au Québec qu’ailleurs, en ce vingt-et-unième siècle déjà riche en cafouillages et en gâchis. Une des hypothèses qui soutient ce parcours est que la poésie contemporaine adopte très souvent le mode de la fragilité et de l’humilité, tant sur le plan formel que dans ses contenus. Les prétentions de la poésie à la révolution et à l’absolue réalité, ses pouvoirs mythiques et fondateurs et ses postures d’oracle s’estompent au profit d’une écriture qui privilégie les « objets trouvés » et les lieux ordinaires, et qui cherche à donner de l’espace et du souffle. Contre le « mauvais infini » de l’accumulation et de l’encombrement exponentiels, la poésie ouvre des fenêtres qui sont autant d’aspirations au grand Tout, conçu non pas comme une substance transcendante, mais comme un pur appel, un grand vent, une béance dans ce monde surchargé et périssable.
Pierre Nepveu est poète, essayiste, biographe du poète Gaston Miron et co-auteur d’une anthologie, La poésie québécoise des origines à nos jours. Il a enseigné la poésie durant plus de trente ans à l’Université de Montréal et il est l’auteur de nombreux articles, comptes-rendus, préfaces et conférences consacrés surtout à la poésie. Essayiste, il a notamment publié Intérieurs du Nouveau Monde et Géographies du pays proche. Parmi la dizaine de ses livres de poèmes, Romans-fleuves et Lignes aériennes lui ont tous deux valu le prix du Gouverneur général du Canada et après d’autres titres entre 2002 et 2019, un nouveau recueil, Omerta. Un os dans la neige, est à paraître l’automne prochain. La plupart de ses livres de poésie ont été traduits en anglais et, partiellement, dans d’autres langues. Il a reçu en 2005 le prix Athanase-David du Gouvernement québécois pour l’ensemble de son œuvre et il est membre de l’Académie des lettres du Québec.
Source : site de l’INSL