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In Memoriam - Laurent Mailhot

Afin de saluer la mémoire de Laurent Mailhot, membre honoraire du CRILCQ, Micheline Cambron (CRILCQ, UdeM) a préparé un texte lui rendant hommage.

Laurent Mailhot. Lire une littérature

Laurent Mailhot fait partie de ces intellectuels qui accompagnèrent la littérature d’ici à un moment clé de son histoire, celui où, non contente d’avoir un passé et un futur, la littérature écrite en français au Québec se dota d’un présent et en vint à se désigner comme québécoise. Professeur au Département d’études françaises dès 1963, quelques mois donc avant la création d’un certificat en littérature canadienne, auteur d’une thèse sur Albert Camus, dont la fréquentation allait l’aider, dira-t-il plus tard, à lire les essayistes québécois[1], il contribua avec ses collègues à la mise en œuvre d’institutions et de chantiers propres à soutenir le développement de la littérature québécoise. Ces institutions, ces chantiers nous paraissent aujourd’hui aller de soi (à tort peut-être); il est bon de rappeler qu’ils furent créés par des personnes qui constituèrent ainsi la trame de nos pratiques intellectuelles. J’en récapitulerai ici le mouvement en m’arrêtant à quelques réalisations, sans prétendre tout évoquer.

Très tôt, en 1966 déjà, Laurent Mailhot s’engage dans l’affirmation de l’existence de la littérature québécoise et dans une profession de foi à l’endroit de la critique qui la prend pour objet. Il signe, dans le sixième numéro de la revue Études françaises, fondée en 1965, un texte intitulé « Une critique qui se fait » et déclare :

Si nous apprécions les critiques — tout en les critiquant à leur tour —, c’est que nous apprécions les œuvres. Si les critiques existent, les œuvres existent, et toujours davantage. Il n’y a pas de critique qui se fait sans littérature[2].

Il s’agit donc de lire et faire lire cette littérature et de participer à cette « critique qui manifeste des insuffisances, qui rencontre ses échecs, mais qui témoigne d’une vie et d’un engagement littéraires renouvelés[3] ». Il ne sera jamais question d’autre chose dans la suite des travaux de Laurent Mailhot.

Une littérature: un objet, des objets

Cette littérature, composée de textes, doit être lue. Il importe donc que les textes en soient accessibles. Une part considérable du travail de Laurent Mailhot visera cette mise à disposition des textes. Les nombreuses anthologies qu’il dirigera ou codirigera en témoignent éloquemment.  La poésie québécoise des origines à nos jours,  publiée en collaboration avec Pierre Nepveu, (trois éditions, dont la dernière augmentée en 2007), Monologues québécois 1890-1980, en collaboration avec Doris-Michel Montpetit,  Essais québécois 1837-1983, en collaboration avec Benoît Melançon, Le Québec en textes, 1940-1980, en collaboration avec Gérard Boismenu et Jacques Rouillard, conçu dans le cadre du programme d’études québécoises de l’Université de Montréal, constituent autant d’ensembles imposants de textes destinés à favoriser leur circulation, en contexte scolaire et universitaire, mais aussi auprès d’un public élargi. La préparation de ces ouvrages a exigé un travail en archives, l’exhumation de textes oubliés, la définition de critères de sélection. Dans tous les cas, il a fallu consentir à considérer ces textes à la fois comme sources d’un plaisir et comme objets de connaissance.

Cette idée, que la lecture de la littérature québécoise est à la fois un geste de plaisir et une entreprise épistémologique, traverse d’autres engagements de Laurent Mailhot. Par exemple son implication dans la définition et la gestion scientifique de la collection Bibliothèque du Nouveau Monde, qui a pour mandat d’offrir à la lecture des textes soigneusement établis d’œuvres considérées comme fondatrices ou canoniques. Sa participation à divers comités consultatifs comme celui de l’Institut canadien de microreproductions historiques (ICMH), auquel nous devons le microfilmage de documents anciens et récents (journaux, manuscrits, etc.), s’inscrivent dans ce même souci de préservation de sources littéraires et culturelles à des fins de diffusion. Dans un même esprit, Laurent Mailhot fut attentif au travail documentaire effectué en divers lieux à partir desquels faire rayonner la littérature québécoise.

Certains chantiers lui étaient plus personnels. L’affection qu’il portait à Arthur Buies, cet esprit libre qui ne reculait pas devant la polémique, l’avait conduit à préparer une Anthologie qui demeure encore aujourd’hui la porte d’entrée principale de l’œuvre. Il espérait, et le temps lui a donné raison, que plusieurs générations de lecteurs et de lectrices allaient suivre ses traces, explorant les journaux et les récits de voyage de celui qui fut plus qu’un personnage de téléroman. Ce n’était pas rien, pour lui, que d’avoir rendu Buies à la lecture.

Toujours il sera un infatigable lecteur, publiant d’innombrables comptes rendus, pour ainsi inviter à la lecture[4]. Toujours, il s’intéressera aussi au théâtre, publiant avec Jean Cléo Godin des ouvrages décisifs[5] et assistant à toute sorte de pièces, sans se priver de huer, si cela lui semblait nécessaire.

Une littérature et son statut dans le monde

Dans le texte d’Études françaises précédemment évoqué, Laurent Mailhot s’oppose à Jean-Éthier Blais, pour lequel « II faut être diablement inculte pour croire que la littérature canadienne-française puisse être source de formation[6] ». Il y voit la mise en cause de l’existence même de la littérature québécoise. L’autre pan du travail de Mailhot sera donc de porter cette littérature sur la place publique, au Québec et à l’étranger. D’abord en en faisant l’histoire. La publication de La littérature québécoise, aux Presses universitaires de France dans la célèbre collection « Que sais-je ? » en 1974, fait office de manifeste. Non seulement cette littérature existe-t-elle, mais elle se mérite une place dans le concert des littératures du monde.  Cet ouvrage fondateur, qui sera repris dans une édition augmentée en 1995, témoigne d’une véritable lecture des œuvres, depuis celles de la Nouvelle-France jusqu’à celles de la période immédiatement contemporaine. Il fera autorité. On y trouve les traits caractéristiques de son travail : un contact avec les textes qui est à la fois généreux et rigoureux, une préoccupation pour les sources archivistiques, mais aussi le désir de raconter la littérature comme un récit, tout en « y aménageant les pleins et les creux, la lumière et l’ombre, le discours des objets ou des événements et la parole du silence », selon les termes de son discours de réception à la Société royale en 1989[7]. Dans les années qui suivirent, Laurent Mailhot s’intéressa fort à l’épistémologie de l’histoire et il créa des ponts entre les disciplines. Je me souviens d’un séminaire pluridisciplinaire qu’il avait coorganisé à l’Institut Lionel-Groulx, avec des littéraires, des historiens, des géographes et même un biologiste. Dans le petit monde des études québécoises, il connaissait tout le monde, avait tout lu, était prêt à discuter de tout. L’une des dernières idées qu’il proposa au CRILCQ fut celle d’un ouvrage interdisciplinaire sur les emblèmes de la culture québécoise, opportunément saisi au bond par Martine-Emmanuelle Lapointe et actuellement sous presse.

Dans le même esprit, il connaissait les chercheurs étrangers intéressés à la société québécoise, il échangeait avec eux. Il jugeait qu’il fallait que les lectures étrangères sur la littérature québécoise circulent et nous nourrissent; il croyait en l’importance des transferts culturels.  Il a donc participé, directement ou indirectement à la constitution de réseaux de québécistes, accueillant chez lui des étudiants étrangers, présentant des conférences en France, en Allemagne, en Italie, suscitant des rencontres, des projets, la création d’amitiés. De nombreux chercheurs étrangers peuvent témoigner de ce que son amitié a contribué à leur connaissance du Québec et de sa littérature. Laurent Mailhot était l’homme des échanges : il collabora avec de nombreux chercheurs, se soucia de rendre hommage à ses pairs, par exemple en coorganisant le colloque André Brochu écrivain[8], ou en commentant les textes de collègues, comme André Belleau, Gilles Marcotte, Jacques Brault.

La littérature. Plaisir de la rencontre

Pour qui a assisté à des activités du CETUQ, séminaires, colloques, rencontres informelles, la voix de Laurent Mailhot, forte et charismatique, est inoubliable. Il y avait le conférencier ou le contradicteur qui pouvait être coupant. Il y avait le lecteur qui savait rendre un texte avec justesse, jouant de toutes les inflexions de sa voix grave. Il y avait l’homme de conversation, qui savait écouter et soutenir les interrogations, les relancer. Pour moi qui n’ai jamais suivi de cours de Laurent Mailhot, sa voix est associée à des lieux : son bureau à la porte ouverte, le couloir qui lui servait de porte-voix, son appartement de la rue Piedmont, près de l’Université, aux conversations souvent feutrées, mais pas que, la maison de Deschaillons-sur-Saint-Laurent où lui et sa femme, Lili, m’accueillaient avec toute ma famille. Il avait alors sa voix enjouée, avec des silences, lors des promenades au bord du fleuve. En ces moments, devant le fleuve, la littérature croisait le politique et la vie ordinaire, le plaisir d’être ensemble, mon fils Dominique juché sur les épaules de Laurent, son héros écrivain — il affichera une photo de Laurent dans son placard, là où ses amis mettaient celle d’un jouer de hockey.  C’est aussi cela la littérature, une rencontre avec l’humanité :

Le multiple plaisir du texte se situe quelque part dans l’interaction entre un langage et une langue, l’imaginaire et la mémoire, l’écrivain et son lecteur, le lecteur et ses lectures[9]


[1] Micheline Cambron et Karine Cellard, (2007). « Laurent Mailhot : historien de la littérature ». [Entrevue avec Laurent Mailhot], Lettres québécoises, no 127), p. 6.

[2] Dans ce texte, Mailhot commente en détail tous les textes critiques parus dans l’année sur la littérature québécoise, y compris les chapitres dans des collectifs. Il juge parfois sévèrement ce qu’il lit, mais dans tous les cas, il explique et justifie son point de vue. Laurent Mailhot, (1966). « Une critique qui se fait ». Études françaises, vol. 2, no 3, p. 347. https://www.erudit.org/fr/revues/etudfr/1966-v2-n3-etudfr1748/036242ar

[3] Idem, p. 328

[4] Parus, entre autres, à Études françaises. Voir le texte hommage de Benoît Melançon sur le site de la revue < revue-etudesfrancaises.umontreal.ca/hommage-a-laurent-mailhot-1931-2021-directeur-de-revue-etudes-francaises-1979-1988/

[5]Jean Cléo Godin et Laurent Mailhot, Le théâtre québécois. Introduction à dix dramaturges contemporains, Montréal, Hurtubise HMH, 1970 [Réédition : 1973] et Théâtre québécois II. Nouveaux auteurs, autres spectacles, Montréal, Hurtubise HMH, 1980, 247 p.

[6] Idem, p. 330.

[7] Ce texte est intitulé « Textes (ou chaînons) manquants : fragments d’une histoire littéraire imaginaire du Québec ». Textes colligés par Maurice Lebel, Société royale du Canada, Académie des lettres et des sciences humaines, 1989-1990, p. 93-106.

[8] Micheline Cambron et Laurent Mailhot, André Brochu écrivain, Montréal, « Cahiers du Québec, Littérature », Hurtubise HMH, 2006, 223 p.

[9] Laurent Mailhot, Plaisirs de la prose, Prix de la revue Études françaises, 2005, p. 24.